Skip to content

Edito du 5 mars 2011

« La mer  […] a des reflets d’argent »

Tirée d’une des plus célèbres chansons françaises, cette phrase prendrait presque, dix ans après la mort de Charles Trenet, des allures de prophétie. C’est que ça bataille dur au pied de l’urne funéraire, entre Georges El-Assidi, ancien secrétaire personnel et unique héritier du chanteur, et Michel Paradis, un Québécois de 61 ans qui affirme être le fils de ce dernier. Ca bataille dur pour quoi ? Pour les reflets d’argent justement, soit quelques propriétés immobilières et l’ensemble des droits sur les chansons de Trenet. Une fortune, quoi…

Facétieuse, la justice a repoussé son audience au 21 juin prochain. On saura donc bientôt si, à la faveur des tests ADN pratiqués sur la demi-sœur du chanteur, l’affaire Trenet parvient à atteindre les mêmes sommets de macabre et de grotesque que l’affaire Yves Montand, il y a de cela quelques années (encore que Charles ait eu la sagesse de se faire incinérer, lui)…

Reste un truc qui me gêne. Je dois être vraiment idiot, inculte ou quelque chose du genre, mais je n’arrive pas à comprendre : alors qu’on est censé* avoir eu un débat sur la propriété intellectuelle pour mettre au point HADOPI, comment se fait-il que personne n’ait remis en cause cette aberrante possibilité de pouvoir léguer ou céder ladite propriété ? Je veux dire : lorsque j’achète un disque de Prince, de Juliette ou de Matthieu Chedid, je comprends le principe des royalties. Quelqu’un a écrit une musique, quelqu’un a écrit des paroles et une partie du fruit de la vente leur revient parce qu’on estime que c’est là leur travail et qu’ils doivent être rémunérés pour cela.

Là où j’ai plus de mal à comprendre, c’est avec Michael Jackson, Barbara ou encore Jimi Hendrix qui sont tout ce qu’il y a de plus morts. Au nom de quoi donnerais-je de l’argent à leurs héritiers ? Pour récompenser les uns d’avoir été de bons avocats, ou pour féliciter les autres d’avoir été déposés par la cigogne dans les testicules ou les ovaires d’un artiste ou de l’un de ses proches ? Quelle légitimité morale ont-ils de vivre d’une oeuvre qui n’émane pas de leur propre intellect ?

Je le dis sans malice, et je veux bien croire qu’il y a une raison évidente à cette disposition de la loi. Mais j’ai beau examiner le problème sous tous les angles, je ne vois aucun bon sens là-dedans, ni rien qui donnerait à qui que ce soit mauvaise conscience en téléchargeant illégalement la musique d’un artiste mort. Et, ce faisant, je m’étonne que le soi-disant débat HADOPI se soit plutôt concentré sur les modalités d’une punition que sur la vraie question que pose le téléchargement illégal : la façon dont nous percevons et gérons la propriété intellectuelle est-elle pertinente ?

Evidemment, si l’oeuvre des artistes tombaient dans le domaine public sitôt ces derniers décédés, ce qui serait une aubaine pour la démocratisation de la culture serait une catastrophe pour le maintien de l’Ancien Régime : au lieu de recompiler Joe Dassin, Claude François ou Dalida tous les 5 ans, les maisons de disques serait obligées de risquer un peu plus d’argent sur des artistes vivants, Yoko Ono serait obligée d’écrire au moins une bonne chanson dans sa vie et Georges El-Assidi devrait devenir le secrétaire de quelqu’un d’autre…

En attendant que ça change, si jamais ça change et ce n’est pas prêt de changer, j’espère que vous avez pris vos dispositions testamentaires, non pas pour léguer vos compos à vos enfants ou vos proches, mais pour leur léguer votre matos. Parce qu’avec ça au moins, il pourront trouver leur propre voix et la faire entendre sans vivre dans l’ombre de votre génie créateur. Et que pourriez-vous léguer alors ? Un logiciel pour faire des runs de cordes comme Orchestral String Runs (oui, des « runs », moi non plus je ne connaissais pas, mais Sleepless explique très bien ce que c’est dans son article). Ou dans un tout autre genre, des pédales d’effet 100 % analogiques signées Red Witch : ça peut toujours servir… Mais le mieux que vous puissiez transmettre, et ça de votre vivant, c’est votre science de la production audio, et notamment tout ce que vous savez au sujet de l’utilisation créative des noise gates et que vous allez apprendre pas plus tard que maintenant en lisant le dossier de Craig Anderton sur ce sujet…

Sur ce, bon week et à la semaine prochaine.

Los Teignos
From Ze AudioTeam

Publié dansEditos

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *