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Retour sur Soulages

Vu la très belle expo Pierre Soulages : la rencontre au musée Fabre de Montpellier, l’occasion de découvrir l’oeuvre d’un homme dont le nom sonne comme une promesse.

Comme avec beaucoup d’artistes post-Kandinksy, il faut souscrire au primat de l’émotion écartelé sur une démarche intellectuelle. Et quand l’émotion ne fonctionne pas plus que ça, même à s’en user les yeux, aller donc fouiller dans le monde des idées.

Ici, on a droit au principe d’Outrenoir, des jeux de textures monochromes attestant que le peintre a, au fil de sa vie, amassé bien des outils pour faire des stries dans un sens ou dans un autre, ainsi que plein de produits pour obtenir différentes nuances de noir… Le seul hic, c’est ce ressenti d’un art avorté, comme un décors de théâtre sans acteur, un film bloqué sur son titre, un roman qui aurait la prétention de tenir dans une page blanche… Je crois avoir passé l’expo à attendre que Soulages peigne autre chose que des glacis, que le film commence…

Ce dernier défend son propos en évoquant la recherche du trait primitif, celui des premiers hommes traçant des bisons au charbon sur les parois d’une grotte, d’où l’importance du pigment, de la matière qui le reçoit, de sa texture. Soit, mais il est où ce satané bison ? Il a ici complètement disparu autant que la force même de la peinture rupestre. Ce n’est pas tant l’abandon de la figuration qui gêne que l’absence d’allant, d’élan, d’âme et de foi. L’homme qui peignait les bisons s’avançait devant toute une humanité pour témoigner de sa singularité à toute l’humanité qui allait suivre, et il était à la fois peintre, sociologue, historien : il n’avait pas de fascination pour son pigment mais pour ce qu’il lui permettait de dire… Face à cette force, Soulages ma parait souvent tenir salon avec des toiles dont la dimension tente de compenser le vide : il y a du noir comme ci, du noir comme ça, et cela ne dit absolument rien du monde. On rêve d’un trait, d’une forme, où une humanité se révèle mais rien… Le peintre compte sur la lumière et le spectateur pour remplir de sens et d’émotion toutes ces grandes baignoires noires, pour tracer des lignes là où il s’est persuadé qu’il ne fallait pas en mettre.

Je m’interroge : que reste-t-il de la peinture une fois que le dessin, même abstrait, est parti ? L’oxymore des arts décoratifs ? De la peinture en bâtiment ? Klein, Fontana, Malevitch, Soulages : on croirait parfois se balader dans les rayons de Rouget et Pié ou de Saint Maclou, avec cette désagréable impression que le musée fait l’oeuvre et non l’inverse…

Au détour d’un couloir pourtant se tient tout à coup la force d’une petite toile de Rembrandt, en vis-à-vis d’un format identique de Van Gogh. Et, sans qu’il badigeonne toute la toile, il y a là-dedans tout le noir libéré que Soulages a voulu enfermer dans la petite lorgnette de son microscope. Il y a là-dedans les cornes du fameux bison qui sont bien plus qu’une couleur, bien plus qu’une texture. Il y a la peinture, et non le discours sur la peinture, si intelligent et référencé soit-il. Il y a l’univers et non le pigment…

Publié dansPeinture & dessin

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